Dernière chance

Poéta, demeure de l’ermite.


La pluie avait cessé plus tôt dans l’après midi, et sous le couvert du feuillage des arbres, l’air ambiant se réchauffait aux rayons de la fin de journée, exhalant les senteurs de la forêt. Le Chevalier Palomides était assis sur le banc, la main sur son genou douloureux. Pernos et lui avait longuement discuté des évènements à venir, et tout les deux attendaient à présent l’arrivée de leur invitée.

Après un très long silence, les deux hommes devinèrent un pas léger sur l’humus et se tournèrent dans sa direction. Palomides sourit à la jeune Noctë qui arrivait, ponctuelle.

Pernos fut pris d’une quinte de toux en même temps qu’il faisait signe à la rôdeuse de prendre place devant la table qui avait été sortie pour l’occasion. Noctë nota mentalement que Palomides ne s’était pas lever pour la saluer contrairement à son habitude. Intriguée, la jeune femme les regardait tour à tour, un peu inquiète.

Ce fut Palomides qui prit la parole, il semblait vieillit tout à coup.
- Noctë… Je dois vous redire combien je suis honoré que vous ayez choisi de servir Poéta. Je vous ai déjà parlé des projets que j’ai développé pour cette province, et vous sembliez intéressée par beaucoup d’entre eux. Les explorations des territoires perdus, la défense d’Akarios et des terres agricoles… Je ne doute pas un seul instant que vous vous révèlerez à travers toutes les missions que vous voudrez accepter en servant ce territoire.

Le chevalier parlait d’une voix douce et cherchait ses mots. Noctë fronça, se demandant où il voulait en venir tandis qu’il faisait un geste en direction de Pernos. L’ancien daeva s’assit alors à côté d’elle avec dans les mains un parchemin déroulé qu’il lui fit glisser devant sans mot dire.

- Ce document officiel, poursuivit Palomides, fait de vous une citoyenne de la principauté. Toutefois avant que vous ne le signiez, je dois vous préciser de nouveaux éléments.
Noctë posa la main sur le document pour éviter qu’il ne s’enroule et y jeta un œil rapide tout en continuant d’écouter le chevalier. L’écriture était belle et appliquée, la signature en bas, celle du Chevalier.
- J’ai été empoisonné il y a presque deux ans… je parle en années daeva… et malgré des soins de toutes sortes, les effets se font toujours sentir avec virulence. Je n’avais accepté la charge de ces territoires qu’en attendant qu’un daeva prenne la relève. Et vous pourriez être ce deava, Noctë. Palomides la regardait tandis qu’il parlait, ses yeux noirs étaient fixés sur les siens comme pour marquer l’inéluctabilité de cette proposition.
Noctë ouvrit la bouche, interloquée, mais il continua avant qu’elle ne parle.
- Pernos ici présent est près à travailler de concert avec notre légion à cette tâche. Il saura vous guider, ou vous seconder. Fit Palomides.

L’ancien daeva hocha la tête d’un air pensif.
- Certains savent se montrer très persuasif, dit-il à Noctë dans un sourire en montrant le chevalier du menton. Cette guerre interminable a ravagé nos terres, Sanctum ne peut plus se permettre d’ignorer l’urgence de la situation.
- Pernos sera un allié de taille pour la légion, sa voix compte auprès de Fasimède. Enchérit Palomides.

La jeune femme hochait la tête mais ne disait rien encore.
- Noctë, fit-il après un silence. Nous ne vous demandons pas de prendre cette décision dans l’instant. Prenez le temps pour y réfléchir… J’ai donné à Pernos tous les documents et nous avons travaillé ensemble d’arrache-pied depuis deux semaines. Il a accepté de prendre le relais. Discutez avec lui et voyez ensemble comment il vous convient le mieux de fonctionner l’un et l’autre.
- Je ne vous cache pas que me faire sortir de ma retraite ne fut pas chose aisée, jeune dame. Je tiens trop à Poéta pour la voir détruite à petit feu comme ce fut le cas ces dernières décennies. La population a placé de grands espoirs à l’arrivée du Chevalier…

Noctë restait interdite et regardait les deux hommes tour à tour.
- J’entends bien… Il faut que j’y réfléchisse, dit-elle d’une petite voix. C’est inattendu pour le moins, convenez-en. Elle fronça les sourcils. Mais… Et vous ? demanda-t-elle au Chevalier.

Palomides pinça les lèvres, les deux hommes échangèrent un regard et Pernos se leva. Il entra dans sa demeure et les laissa discuter seuls dehors.
- Mes forces me quittent. Soupira Palomides. Séjourner sur les rives de Cliona me rendait mon énergie et ma puissance d’antan. Vous connaissez les particularités de l’île au milieu du lac… Cependant à mesure que j’y passais du temps, mon état s’aggravait quand je la quittais. Je ne sais combien de temps durera encore mon sursis, aussi dois-je mettre les dernières forces qui me restent dans la recherche d’un remède.

Le Chevalier se passa la main sur le visage, Noctë se rendit compte à quel point ses traits s’étaient émaciés depuis leur dernière rencontre. Il surprit son regarde sur lui et serra la mâchoire d’un air contrarié. Puis il ajouta :
- J’ai envoyé un message au Concile leur expliquant la proposition que je viens de vous faire. Je n’ai pas eu leur réponse encore, quoique je n’ai pas la possibilité de leur laisser grand choix à ce sujet, et je le regrette… Je vais quitter ces terres pour Eltnen. Un ami m’y attend qui souhaite ce joindre à cette … expédition. Ensuite nous franchirons la première faille.
Il leva la main comme la rôdeuse allait poser des questions, secouant la tête doucement.
- Il y a effectivement peu de chance que je revienne en Elysea.
- Cet un adieu donc, dit Noctë à mi-voix finalement.
- Oui. Répondit-il sur le même ton.

Palomides se leva maladroitement en s’appuyant sur la table. Il prit les mains de la rôdeuse qui avait suivi son mouvement et les garda un instant dans les siennes.
- Armes et foi, Daeva, souffla-t-il.
- Armes et foi répondit-elle tristement.
Il eut un sourire et s’inclina avec élégance.
- Je vous laisse ici aux bons soins de Pernos. Fiez vous à lui. Dit-il. Je suis attendu pour l’heure, si vous voulez bien m’excuser.
- Vous aviez tout prévu… fit Noctë en le regardant déplier un parchemin de téléportation.

Il hocha la tête, recula de quelques pas tout en lisant le document et disparu dans la lumière bleuté en quelques instants.

Eltnen, Désert Occidental d’Eracus.

La nuit n’allait pas tarder à tomber, deux hommes vêtus du costume local, chacun la tête couverte d’un chèche foncé, attendaient depuis plus d’une heure sur la margelle de l’ancienne fontaine mystique.
- Elle ne viendra pas, dit l’un deux d’une voix rocailleuse.
- Oui, on dirait bien, répondit l’autre d’un ton neutre. Viens, Magnus, il est temps de regagner Kyola. Il faut franchir la brèche en premier pour plus de discrétion.
- Mon commandant, je te sens déçu. Fit Magnus comme ils prenaient la route d’un pas rapide.

Palomides ne répondit pas, il but une nouvelle potion et jeta la flasque vide. Lui et son ami gagnèrent le temple après que la nuit fut tombée, campèrent avec les soldats en poste après le pont.
Le chevalier fit brûler ses derniers parchemins de téléportation et découpa les signes de reconnaissance de leurs vêtements qu’il maquilla ensuite savamment.
Magnus le regardait faire sans rien dire. Palomides lui montra le résultat et il hocha la tête d’un air satisfait.

Plus tard encore dans la nuit, le flux d’éther se mit à vibrer annonçant l’ouverture prochaine de la brèche vers Beluslan. Palomides ouvrit son cube et en sortit une armure légère de faction asmodéenne. Magnus l’aida à la passer, presque heureux de retrouver les gestes et la complicité d’antan.
- Je ne vous ai pas demandé où nous allions, commandant. Chuchota Magnus tandis qu’il s’apprêtait lui-même.
- Pandaemonium, répondit le chevalier dans un souffle.

La brèche s’ouvrit enfin, les deux hommes seraient les premiers à passer. Palomides bu d’une traite une autre fiole. Ses pupilles étaient totalement dilatées et son regard noir reflétait la lumière éthérée de la brèche.
- J’y ai servi autrefois, lui indiqua le vieil humain.
- Je l’ai toujours su, mon ami.

Magnus passa en premier. Palomides se retourna et regarda en direction de l’entrée du pont un instant puis sauta à son tour.